On a lu, on lira
Automne oblige, on partage des impressions, à degré de satisfaction variable, à propos de romans de la Rentrée Littéraire, notamment :
Santiago Amigorena, Le Ghetto intérieur
Jean Baptiste Andrea, Cent Millions d’années et un jour
Bérengère Cournut, De Pierre et d’os
Marie Darrieussecq, La Mer à l’Envers
Jean Paul Dubois, Tous les hommes n’habitent pas le monde de la même façon
Lionel Duroy, Nous étions nés pour être heureux
Hélène Gaudy, Un monde sans rivage
Brigitte Giraud, Jour de Courage
Alexis Ragougneau, Opus 77
Jonathan Coe, Le Cœur de l’Angleterre (Gallimard, 2019)
Tout aussi nuancés sont les commentaires suscités par les quelque 540 pages de ce roman. On a parfois buté sur la longueur, mais souvent apprécié l’humour et le propos désenchanté, on a goûté ou non la multiplicité et l’originalité des personnages, on a eu plaisir à lire un livre « facile et agréable » quand d’aucuns en déplorent le « ton un peu plat », on s’amuse de la pertinence du fil conducteur en ce jour où le feuilleton du « Brixit » joue les prolongations. Bref, le roman de Jonathan Coe remplit son office : chacun y a trouvé du grain à moudre entre petites histoires de vie qui nous parlent comme « des conversations au plus près », peinture sociale et politique qui dépasse largement les Midlands et Histoire d’une Europe qui questionne bien au-delà de la saga des Trotter.
Jonathan Coe dit avoir écrit Le Cœur de l’Angleterre, son douzième roman, pour lui-même, pour tenter de comprendre comment ses compatriotes en sont venus à voter en faveur du Leave le 23 juin 2016. Le récit s’achève en 2018, à l’époque où la sortie de l’Europe aurait dû être effective ; c’est pour les protagonistes, autant que pour le Royaume-Uni, l’heure d’un bilan ; si on se réfère aux intitulés des trois parties, L’Angleterre, successivement joyeuse, profonde, vieille, a peut-être perdu confiance.
Après avoir croqué dans Bienvenue au club (2001) Benjamin Trotter et ses proches, lycéens à Birmingham dans les années 1970 (l’ère Thatcher), Jonathan Coe les a fait vivre, adultes dans Le Cercle fermé (2004), la Grande-Bretagne de Tony Blair des années 1990-2000. Dans ce troisième volume, les Trotter et Cie vont se trouver confrontés au Brexit qui, en divisant le pays, semble fractionner les relations professionnelles, amicales, familiales, ou peut-être est-ce l’inverse ? Les thèmes qui font l’actualité sont là : paupérisation, montée du nationalisme, politiques d’austérité, règne du politiquement correct, discriminations, individualisme forcené… Pourtant Coe se défend d’être un auteur engagé et se définit, via son écrivain Benjamin, comme simple observateur : « Attendez, moi je ne suis pas sociologue. Je n’ai pas les réponses. Je n’ai pas la moindre idée de solution » (p. 131).
On regarde de plus près les procédés d’écriture, la diversité de ton ; on apprécie cette façon qu’a Jonathan Coe d’imbriquer réflexions et anecdotes, réelles ou imaginaires, avec une distance volontiers ironique. Ainsi en est-il de la drôlerie acerbe avec laquelle il narre la retransmission télévisée de l’Ouverture des J.O de 2012, dans ce chapitre 15 qui clôt la première partie, celle de La joyeuse Angleterre. Idem pour le récit d’une croisière peuplée de retraités venus écouter quelque obscur universitaire « Georges a cassé sa pipe… c’est très courant parait-il dans les croisières » (p.210). Ou encore la visite de Longbridge, le site de production automobile où travaillait Colin, devenu un gigantesque centre commercial « il fit quelques pas et se trouva confronté à des rangées entières de bas, de soutien-gorge, de culottes en dentelle, à perte de vue /…/ alors qu’il s’attendait à être assailli par le tintamarre de l’ancienne chaine de montage » (p. 339). Et bien sûr, Coe manie volontiers l’autodérision quand le roman de Benjamin, fort élégamment intitulé Rose sans épine, se retrouve en tête de gondole, et en séance de signature, au rayon d’un Jardiland (p. 235).
Alors, on se promet d’écouter la chanson qui résume tout (p. 539) Adieu To Old England.
Agenda : attention changement de date pour la café littéraire de novembre !
Le lundi 25 novembre et à la suite de sa conférence, nous accueillerons Colette Camelin pour évoquer Victor Segalen et plus particulièrement le roman René Leys (Folio Classique).
Mardi 10 décembre, la séance du Café Littéraire sera consacrée à Georges Simenon. Mireille et Michel, deux inconditionnels de « l’homme aux 400 livres », se proposent de vous le faire découvrir, ou redécouvrir, plus particulièrement en évoquant :
– Le Testament Donadieu
– La Maison du canal
– Pedigree
La météo automnale incite à la lecture, alors : À vos marques, prêts ? Lisez !