Le mardi 8 mars, Journée Internationale des Femmes, nous accueillerons Catherine Missonnier, auteur de nombreux ouvrages de littérature de jeunesse, pour son essai Une lignée de femmes, (L’Harmattan, 2015).

Quelques mots sur l’actualité littéraire de février 2016 :

La mort d’Edmonde Charles-Roux, romancière, journaliste, peut nous inciter à lire ou relire Oublier Palerme (Goncourt 1966) ou peut-être à découvrir d’autres aspects de son œuvre, comme la biographie d’Isabelle Eberhardt, Nomade j’étais.

Quant à Michel Tournier, mort le 18 janvier, il mériterait plus que ces quelques mots. Si sa notoriété s’est construite avec Le Roi des Aulnes (Goncourt à l’unanimité en 1970) ou encore Vendredi ou Les Limbes du Pacifique, y compris dans sa version pour la jeunesse, Vendredi ou la Vie Sauvage, Le Médianoche Amoureux, est certainement un de ses écrits les plus réussis, révélateur de sa belle plume comme de son imagination fantaisiste.

Les dernières découvertes des participants du Café Littéraire :

Résister (Flammarion) de Marie-José Chombart de Lauwe, La Renverse (Flammarion), le dernier Olivier Adam; Tout plutôt que d’être moi (Edition La Belle Colère), roman de feu le jeune romancier américain Ned Vizzini; Une Colère Noire, Lettre à mon Fils (Autrement) de Ta-Nehisi Coates, un écrivain américain parrainé par Toni Morrison; En attendant Bojangles (Finitude), premier roman d’Olivier Bourdeault; et aussi Marie Curie prend un amant (Seuil), un récit qu’Irène Frain a construit, comme à son habitude, avec un méticuleux travail d’archives. Et encore Au Revoir Là Haut, une étonnante BD du dessinateur Christian de Metter avec le scénario de Pierre Lemaître (voir le CR de février 2014). Enfin, La Déposition (L’Iconolaste) de Pascale Robert-Diard, nous pose la question de la pertinence à écrire sur des épisodes judicaires véridiques et nous permet de faire le lien avec le roman de McEwan que nous abordons ce soir.

 Les romans de Ian McEwan

Jean Pierre propose une rapide liste des auteurs anglais qui ont marqué le XXème siècle, de Kipling à Joyce, de Greene à Virginia Woolf et tant d’autres contemporains, Amis, Boyd, Coe, Follett, Kureishi, Lodge, Sharpe, … qui témoignent de la fécondité littéraire de nos proches voisins.

Ian McEwan est l’un des plus prolixes avec une vingtaine de romans traduits en français, des nouvelles, des scénarios. Lauréat de prix prestigieux, il est lu dans le monde entier; sept de ses romans ont été transposés sur grand écran; l’adaptation de The Children Act est en cours de tournage. Pour en savoir plus, on consultera son site http://www.ianmcewan.com/

Nous partageons nos impressions de lecture à propos de Sur la Plage de Chesil (Folio, 2010), un roman court et dense, très révélateur de l’écriture caractéristique de McEwan et de son art consommé du suspense psychologique. C’est dans la société anglaise des années soixante, encore très conventionnelle, « avant les chansonnettes des quatre garçons de Liverpool » (p. 46), que Florence, violoniste brillante et passionnée, fille de bonne famille, a choisi d’épouser Edward, fils d’instituteur, étudiant en histoire, promis à un bel avenir.

Une des dernières phrases résume à elle seule ce qui est peut-être la clé du roman, à savoir qu’une invisible mais implacable mécanique va enrayer le cours de leur destin : « Voilà comment on peut radicalement changer le cours d’une vie : en ne faisant rien. » (p. 178). Parce que c’est ce rien qui titille McEwan et son lecteur ; ce rien qui donne source à toute l’analyse des comportements, des émotions, des discours intérieurs, des envies et des inhibitions des deux protagonistes, qui sont ensemble sans pouvoir se comprendre, sans pouvoir jouir de l’instant présent, sans pouvoir réaliser ce pourquoi ils avaient entrepris d’avancer à deux : « ils étaient trop polis, trop coincés, trop timorés, ils se tournaient autour à pas de loup, murmurant, chuchotant, s’en remettant l’un à l’autre, s’approuvant mutuellement. Ils se connaissaient à peine et ne pourraient jamais se connaître, à cause de ce manteau de silence complice» (p. 158). McEwan excelle à distiller, non sans humour, la description du fiasco de la nuit de noces, donnant tour à tour la parole à l’un ou l’autre tourtereau, et ce avec une étonnante acuité, comme s’il disséquait deux cerveaux en ébullition, qui réfléchissent tellement à ce qu’ils doivent faire en fonction de ce que l’autre pourra penser qu’ils sont totalement handicapés. « Qu’est-ce qui les arrêtait donc ? Leur personnalité et leur passé, leur ignorance et leur peur, leur timidité, leur pruderie, leur manque d’aisance, d’expérience ou de naturel, vestiges des interdits religieux, leur anglicité, leur classe sociale, et même le poids de l’Histoire. Trois fois rien. Il retira sa main » (p. 107).

Les portraits et les situations sont si poignants, si réussis, que notre cercle de lecteurs échange vivement des hypothèses pour tenter d’expliquer le malentendu ! La relecture partagée de courts passages riches d’ambiguïtés permet de déguster la puissance de l’écriture fictionnelle de McEwan.

Le dernier McEwan, L’Intérêt de l’Enfant (Gallimard, 2015), est né de faits judiciaires authentiques; un roman « part toujours d’un moment humain ». McEwan aborde la question des cas de conscience, ici une décision qui doit trancher entre loi et foi, et ce en évoquant ces petits moments qui font basculer les destins.

Le roman confronte deux versants de la vie d’une juge aux affaires familiales. Le volet conjugal; Fiona, la cinquantaine passée, n’a plus beaucoup d’attirance pour Jack, son mari, et réciproquement. Elle est quand même bien fâchée de savoir qu’il la trompe pour une jeune, et finit par le mettre à la porte, quoique sans la fermer tout à fait… « Pathétiques, ils étaient tout deux pathétiques. Son fauteuil à lui, sa méridienne à elle, la vie conjugale reprenait» (p. 141). Le volet professionnel ; Fiona doit juger une affaire complexe. Adam Henry n’a pas encore 18 ans ; témoin de Jéhovah, comme ses parents, il refuse la transfusion qui lui permettrait d’être sauvé d’une leucémie. Fiona le rencontre, tente de le convaincre, impose la transfusion « dans l’intérêt de l’enfant ». Adam, intelligent, musicien, poète, brillant, lui envoie des lettres étrangement passionnées. L’attachement, très subtil, est réciproque ; mais si la séduction est là, elle reste majoritairement dans la délicatesse du non-dit : « elle avait honte à présent de ses craintes mesquines pour sa réputation » (p. 228).

Si comme le laisse supposer le titre original, The Children Act, le droit est au cœur de l’histoire, il est aussi un tremplin pour souligner que les questions d’éthique ne sont jamais aisées à résoudre: « la cour devait choisir, dans l’intérêt des enfants, entre l’intégrisme religieux et quelque chose d’un peu plus souple. Entre des cultures, des identités, des états d’esprit, des aspirations, des familles rivales, des concepts fondamentaux, des loyautés viscérales, des avenirs incertains » (p. 25). Comme dans la plupart des romans de McEwan, c’est à la fin que le personnage se rend compte qu’il n’a peut-être pas fait le bon choix : « elle croyait que ses responsabilités s’arrêtaient aux murs de la salle d’audience. Mais comment auraient-elles pu s’arrêter là ? » (p. 228)

Ce roman confirme l’habileté de McEwan à faire vivre des émotions subtiles, à scruter la complexité psychologique des personnages, à souligner l’ambigüité douce-amère des relations humaines, ballotées par les doutes et les hésitations.

Certes, on en lira ou on relira Délire d’amour, Solaire, Expiation, et on attend le prochain McEwan…

Compte-rendu du café littéraire du 9 février 2016