La prochaine séance, mardi 8 décembre, sera dédiée à Svetlana Alexievitch, lauréate du Prix Nobel de Littérature 2015, et nous lirons La Fin de l’Homme Rouge (Actes Sud), Prix Médicis Essai 2013
Quelques informations sur les rencontres littéraires locales :
Vendredi 6 novembre 2015 à 18 h 00, la médiathèque de Marennes, dans le cadre du Festival Les Cultures francophones, reçoit Velibor Čolić, dont nous avions lu le dernier roman, Ederlezi, en septembre 2013.
Samedi 7 novembre 2015 à 10 h 30, la médiathèque de Chéray reçoit Bernard Magnier, directeur de la collection « Lettres africaines » chez Actes Sud, dans le cadre du Festival Les Cultures francophones de Marennes.
Vendredi 20 novembre 2015 à 16 h 30, la médiathèque de Chéray reçoit John Lanchester, écrivain londonien, invité du Festival de Littératures Européennes de Cognac, en lice pour le Prix des Lecteurs pour son roman Chers Voisins. Plusieurs membres du Café littéraire ont participé au jury de ce prix qui sera attribué le 21 novembre.
Notre rentrée littéraire :
Ce mardi 3 novembre est le jour d’attribution des Prix Goncourt et Prix Renaudot. Le Café Littéraire est bien décidé à jouer le jeu. La plupart des livres présentés suscitent des avis partagés et les deux heures de notre séance seront trop brèves pour en faire le tour.
Petits aperçus de nos enthousiasmes, controverses, curiosités ou répugnances : on évoque (et on justifie ou non) les récents lauréats et ceux à venir.
Christine Angot, lauréate du Prix Décembre pour Un Amour Impossible. Comme on pouvait s’y attendre, dans notre cercle, l’auteur est loin de faire l’unanimité. On s’accorde globalement sur le fait que son propos, comme dans la plupart de ses romans, est dérangeant. L’essentiel de son œuvre revient sur l’inceste dont elle a été victime ; on rappelle l’insoutenable violence de Une Semaine de Vacances, paru en 2012. Un Amour Impossible narre peu ou prou Sa même histoire, comme si c’était l’envers de l’autre, père-fille, mère-fille, parce que ce qui un jour a été écrit exige de l’être à nouveau. Le roman, cette fois, veut restituer la relation mère-fille, sa complexité, sa complicité. D’aucuns y voient l’art subtil de rendre un vécu au fil de la page, d’autres, au contraire, refusent de s’y laisser embarquer. L’échange porte également sur le mode d’écriture : «celle d’une élève de troisième» pour l’un, «une fausse simplicité » pour l’autre, « une apparente facilité qui sert la justesse et la finesse des émotions » pour d’autres encore. Bref, le style Angot, syncopé et singulier, volontairement sans artifices parce qu’il y a comme une urgence à aller à l’essentiel, désarçonne ou séduit.
D’ores et déjà, on sait que le Prix de l’Académie Française a été doublement attribué à Boualem Sansal, pour 2084. La fin du monde, et à Hédi Kaddour, pour Les Prépondérants, dont une lectrice souligne « la très belle écriture de cette fresque passionnante », « une peinture vivante de la société coloniale où se côtoient/ se mêlent deux mondes, arabe et français». On se réjouit de ce choix qui donne à lire la culture et l’histoire en profondeur, comme une réponse à une certaine forme actuelle de prêt à penser.
Mathias Enard est LE Goncourt 2015 avec Boussole. Les lecteurs du Café ont apprécié le caractère là encore bienvenu de ce rapprochement entre cultures orientale et occidentale. En emportant son lecteur à Istanbul, Téhéran, Damas, Alep, Palmyre, Enard poursuit l’éloge de la beauté de la civilisation arabo-musulmane telle que vantée par les Orientalistes. Boussole est un roman un peu difficile à aborder tant par ses références culturelles, en particulier musicologiques, que par sa structure sinueuse, ou par son écriture parfois un peu pédante car nourrie de connaissances savantes et de souvenirs de voyages. Déjà primé par le Goncourt des Lycéens 2010 pour Parle-leur de batailles, de rois et d’éléphants, Mathias Enard, est en phase avec le testament des Goncourt qui invitait à récompenser chaque année « le meilleur ouvrage d’imagination en prose » et les « tentatives nouvelles et hardies de la pensée et de la forme».
On passe rapidement sur le Prix Renaudot, attribué à Delphine de Vigan pour D’après une histoire vraie. Largement autobiographique, captivant certes, le roman ne semble pas vraiment à la hauteur du précédent Rien ne s’oppose à la nuit (2011). « Femme de » (François Busnel), de Vigan s’interroge sur le rapport entre réalité et fiction dans le roman, sur l’impossibilité d’écrire… l’écrivain se regarde dans le miroir.
Si on en croit notre lectrice, prix littéraire ou pas, qu’importe, on va tous se précipiter sur Fairyland, récit autobiographique de Alysia Abbott, journaliste critique littéraire américaine, fille du poète gay Steve Abbott. Certes, le récit est paru en mars 2015 (pour la traduction française) et Sofia Coppola en a d’ores et déjà obtenu les droits d’adaptation au cinéma. « Tendre, poétique, bouleversant, engagé… » ; « l’auteur rend hommage à son père qui a su l’élever seule dans le San Francisco des années 70 » ; « à l’heure où la question du sida commençait tout juste à faire surface ». Preuve, si besoin était, que la littérature annonce ou fait écho aux questionnements qui traversent la société.
Vives controverses encore avec La septième fonction du langage, de Laurent Binet. Plusieurs d’entre nous ont gardé en mémoire la réussite de son HHhH, Goncourt du Premier Roman en 2010. Là, déjà, Laurent Binet se posait la question essentielle : Cela s’est-il vraiment passé ainsi? Il avait choisi de montrer les preuves de la vérité racontée : livres, films, journaux, documents datés, références, noms des lieux visités, etc. Mais cette fois, c’est tout autre chose ! Les qualificatifs fusent : « loufoque, croustillant, délirant, abject, goût douteux, procédé limite, fin bâclée, lexique cru et choquant… » ; mais aussi, « savant, 10 ans de travail, un thriller politique, un scénario excellent, une somme de connaissances, l’art de la déduction, la force des interprétations… » ; et encore « quelle audace de mettre en scène des vrais personnages vrais, les Derrida et Foucault, les Sollers et BHL, les Mitterrand et Giscard, et Althusser et Lacan .. ! » De quoi s’agit-il ? De la mort de Roland Barthes, sur le mode « et si ç’avait été un meurtre… » Et le jeune Binet (il avait 8 ans au moment des faits) jubile à «déconstruire » l’histoire des années 80 et à dézinguer les intellos.
Au Café Littéraire, ce soir, on s’Apostrophe.
On connaît le père, Luc Boltanski, éminent sociologue, auteur notamment de La Condition Fœtale, on connaît l’oncle, Christian Boltanski, artiste plasticien, sculpteur et cinéaste, et voilà que Christophe Boltanski, journaliste à l’Obs, nous fait rencontrer toute la brillante maisonnée, avec son premier roman, La Cache. Avec un tel titre, il semble quasi normal que le lecteur peine parfois à se retrouver dans ce labyrinthe (certains ont tracé un arbre généalogique au fur et à mesure de leur lecture). Christophe Boltanski raconte, avec humour noir ou tendresse, gravité ou cocasserie, un grand pan de l’histoire de sa famille (il a demandé et obtenu l’accord des siens…). Une famille soudée, protectrice jusqu’à l’étouffement, qui se transmet la peur et la force d’y résister, une famille créatrice, bluffante, hors norme. La Cache, c’est l’appartement parisien où le grand-père, juif converti au catholicisme pour échapper aux rafles, dut se terrer pendant la Seconde Guerre Mondiale. La maison est la figure centrale qui structure le roman ; l’auteur la revisite avec son lecteur, quitte à l’égarer un peu. Boltanski éclaire ainsi son propos : « J’ai voulu raconter l’histoire d’un enfermement, celui d’une famille qui vit soudée dans un appartement, cimentée par la peur et qui tente de recréer un monde de liberté et de joie ». Il aura le Prix Femina 2015 !
On regrette de ne pas avoir le temps d’échanger sur la lecture de Délivrances, de Toni Morrison, car il y est aussi question de famille et de transmission.
C’est avec beaucoup d’empathie et d’émotion qu’une lectrice nous parle de sa lecture de Profession du père, le dernier roman de Sorj Chalandon. Comme dans ses livres précédents, notamment Le Quatrième Mur, que nous avions lu en décembre 2013, l’écriture et le propos de Chalandon ne nous lâchent pas.
Et pour prendre un peu de recul sur une question immédiate, celle des réfugiés et du déracinement, voilà Brigitte Giraud, avec son roman, Nous serons des héros. « En ce début des années soixante-dix, Olivio et sa mère viennent de fuir la dictature portugaise. Ils s’installent dans une banlieue lyonnaise et emménagent bientôt chez Max, un rapatrié d’Algérie ».
On évoque à peine Martin Amis, La Zone d’intérêt, un roman sur l’Holocauste, « très déstabilisant », dit son lecteur. Il nous conseille davantage Et la Lumière Fut, réédition de l’autobiographie de Jacques Lusseyran, résistant aveugle qui a inspiré à Jérôme Garcin, son roman Le Voyant, paru en janvier 2015.
Les amateurs de Gérard Mordillat nous recommandent Les Brigades du Rire, un roman drôle et désespéré, même si on peut déplorer que l’auteur n’esquisse plus quelque bout du tunnel…
On aimerait avoir le temps de parler de L’Intérêt de l’Enfant, le dernier roman, de Ian McIwan qui met en scène un juge confronté à la question du refus de soins à un mineur chez les Témoins de Jehovah. Un auteur magistral, à lire absolument ! On essayera de lui consacrer la totalité d’une séance.
Et aussi de Florence Noiville, « Femme de » (Martin Hirsch), qui aborde dans L’Illusion délirante d’être aimé, une sorte de thriller psychologique, le sujet de l’amour comme pathologie, sujet présent également dans Délire d’Amour, un magnifique roman de McIwan.
On trouvera le temps de lire l’Essai de Nicole Lapierre, « Femme de » (Edwy Plenel), Sauve qui Peut la Vie, qui emprunte à l’histoire de sa famille juive polonaise pour montrer comment on en réchappe, comment on peut interrompre la filiation de destins tragiques.
Bon nombre d’entre nous n’ont pu plaider pour leur favori ; partie remise ; on se prête volontiers les ouvrages, autre manière de partager un insatiable goût de lire.