Prochaine séance : le 15 novembre, à 18h à la médiathèque de Saint Pierre d’Oléron. Si Russell Banks n’a pas été lauréat du Nobel de littérature 2016, il recueille a priori les suffrages du Café Littéraire ; nous lirons American Darling (Actes Sud/ Babel).
L’actualité littéraire :
Le 13 octobre 2016, le prix Nobel de littérature a été attribué à Bob Dylan; il succède à Svetlana Alexievitch (voir le CR de la séance de décembre 2015). Le chanteur-poète a été récompensé « pour avoir créé dans le cadre de la grande tradition de la musique américaine de nouveaux modes d’expression poétique », dixit la secrétaire générale de l’Académie suédoise.
La discussion s’anime à propos de la parution, à l’occasion du centenaire de la naissance de François Mitterrand, des deux volumes, Journal pour Anne (1964-1970) et Lettres à Anne (1962-1995). Au total, 1776 pages à savourer (Gallimard, 2016) !
Le Prix Augustin Thierry a été décerné à Sylvain Venayres lors des Rendez-vous de l’Histoire de Blois, pour son ouvrage Une guerre au loin, Annam 1883 (Les Belles Lettres, 2016). Il y est question de Pierre Loti. En 1883, Loti assiste, du pont de son navire, à la prise des forts de Huê. La France conquiert l’Annam. Le récit de la bataille paraît quelques semaines plus tard dans Le Figaro. Loti est accusé de discréditer les marins et les soldats français. Sommé d’en interrompre la publication, il est rappelé à Paris et sanctionné.
On signale la récente parution du recueil de Josyane Savigneau, La passion des écrivains, Rencontres et portraits (Gallimard, 2016) : 29 textes écrits entre janvier 1985 (Philippe Sollers) et août 2015 (Martin Amis), dont J. Savigneau affirme qu’ils sont «une promenade toute personnelle dans mes exercices d’admiration».
La parole aux libraires : Jessica nous recommande Giboulées de Soleil (Alma Editeur, 2016) ; dans ce premier roman, Lenka Hornakova-Civade relate l’histoire d’une lignée de femmes bâtardes en Tchécoslovaquie de 1930 à 1980. On note la prochaine rencontre avec Sophie Daull pour son roman La Suture, le 22 octobre à La librairie des Pertuis.
Lectures à partager : on évoque, entre autres, Sylvain Tesson pour son dernier ouvrage, Sur Les Chemins Noirs (Gallimard, 2016) ; et aussi Paul Greveillac, Prix Roger-Nimier 2016, pour Les âmes rouges, un premier roman qui rend hommage aux artistes soviétiques dissidents (Gallimard, 2016); et encore Le Bal Mécanique de la romancière Yannick Grannec, une histoire captivante autour du Bauhaus (Editions Anne Carrière, 2016) ; et enfin, l’étrange roman de Philippe Forest, Crue (Gallimard, 2016).
Jean-Paul Dubois : Quelques mots pour présenter l’auteur, plutôt soucieux de ne pas livrer sa vie privée. Grand reporter au journal Le Matin et au Nouvel Obs, il a également produit de nombreux articles pour des journaux sportifs. Depuis 1984, il a publié une vingtaine de romans.
Plusieurs prix littéraires sont venus couronner son œuvre romanesque, notamment, le Grand Prix de l’humour noir 1991, pour Vous aurez de mes nouvelles ; en 1996, le Prix France Télévision pour Kennedy et Moi ; en 2004, Une vie française obtient le Fémina ; en 2012, Le Cas Sneijder a le Prix Alexandre Vialatte.
Les romans de J.P. Dubois ont donné lieu à diverses adaptations cinématographiques : Kennedy et Moi, de Sam Karmann en 1999, avec J.P. Bacri ; Le Cas Sneijder /, La Nouvelle Vie de Paul Sneijder de Thomas Vincent, en 2016, avec Thierry Lhermitte ; Le Fils de Jean, adaptation du roman Si ce livre pouvait me rapprocher de toi, par Philippe Lioret, en 2016.
On pourra voir l’adaptation théâtrale du roman Le Cas Sneijder, en mai 2017, à la Coursive, avec Pierre Arditi.
Né en 1950, J.P. Dubois habite à Toulouse dans la maison familiale dont il a hérité, trop grande, difficile à entretenir (c’est le scénario de Vous plaisantez monsieur Tanner). Cette maison de famille constitue la toile de fond de plusieurs de ses romans : « je travaille sur le bureau de mon père ; j’ai foutu mes livres dans sa bibliothèque/…/ la maison je ne peux pas m’en séparer » (l’Obs, 08/2016). Il y accueille souvent ses deux petits-fils. Sa compagne (depuis 20 ans) réside à Montréal ; il se rend régulièrement au Canada et y fait volontiers référence dans ses romans. Idem pour les Etats Unis qu’il connaît bien pour y avoir effectué de nombreux reportages (dans La Succession, la pelote basque se pratique à Miami).
J.P. Dubois revendique le droit d’être tranquille, à l’écart, voire dépressif, «mes spécialités, ce sont les cinglés ». Il affirme nettement son refus des religions et sa distance, voire sa méfiance, à l’égard des rituels sociaux. Tout ceci pour confirmer, si besoin était, le caractère largement autobiographique de son œuvre romanesque.
A propos de son métier d’écrivain, il affiche la posture du fumiste talentueux « en soi écrire n’a aucun intérêt, c’est le mode de vie que ça permet qui est important. Vous ne faites jamais autorité sur personne et personne ne fait jamais autorité sur vous ». Généralement, il rédige un roman en un mois environ, avec peu de temps de sommeil. « Ne jamais dormir plus qu’il ne fallait. C’était ça le secret d’une vie bien remplie » (Hommes entre eux, p. 213). Pour la Succession, il dit «Onze pages par jour de 10h à 4 heures du matin ; un mois sans interruption ; pour régurgiter un tas de souvenirs et d’angoisses », (l’Obs, n°2703, 08/2016).
J.P. Dubois dit s’inspirer de son vécu mais également de faits divers et d’anecdotes dont il a eu connaissance et pour lesquels il se documente jusqu’au plus infime détail. Citons par exemple, dans La Succession, la victoire au marathon de 1896 du berger grec Spyridon Louys ou encore l’histoire du quagga, une espèce de zèbre blanc disparue et réintroduite en Afrique du Sud.
Son œuvre romanesque est marquée par des leit-motiv qui établissent une certaine connivence avec le lecteur. D’abord du côté des personnages : dans La Succession, on reconnait Paul dans sa difficulté à prendre un chemin ordinaire et son aptitude à pratiquer l’autodérision, ici pelotari par choix et médecin par héritage; on retrouve Anna, ici personnage de la mère, une femme indépendante qui a depuis longtemps montré qu’assumer le rôle d’épouse, voire de mère, n’est pas le premier de ses soucis. On souligne d’autres récurrences notoires : le goût des voitures anciennes, ici une Triumph dont le compteur affiche un mystérieux 77777, attestant du goût de J.P. Dubois pour les chiffres ; l’attachement aux animaux, ici Watson le chien confident ; la question de la mort, rarement naturelle et paisible, ici on peut avoir l’impression de parcourir un catalogue des suicides, du plus tragi-comique (celui du père dans le premier chapitre) au plus médicalisé (celui du fils qui clôt le dernier chapitre) ; le goût des mots rares et précieux, ici l’intitulé du dernier chapitre Les hespérophanes, métaphore insidieuse de l’insecte qui ronge le bois discrètement de l’intérieur…
Si populaire qu’il soit, J.P. Dubois est loin de faire l’unanimité au sein du Café Littéraire. On évoque d’abord un possible rapprochement avec l’écrivain finnois Arto Paasilinna dont l’univers romanesque cocasse et déjanté est peuplé de personnages délibérément inadaptés à la vie sociale.
On reconnaît volontiers la qualité de son écriture quelles que soient les émotions ou les situations qu’il croque. On souligne son aptitude à raconter des histoires qui traitent de questions d’aujourd’hui (et de toujours) avec originalité, lucidité et finesse. J.P. Dubois tisse des scénarios surprenants et pourtant fort crédibles. Dans La Succession, il donne à voir des personnages attachants et singuliers.
Au final, si d’aucuns apprécient son humour grinçant, partagent son cynisme, se délectent de la cocasserie des relations humaines ou de l’originalité de ses protagonistes intranquilles, d’autres ne cherchent pas dans la littérature une voix qui semble disséquer à plaisir le dérisoire de l’existence, prôner une sorte de désespérance.
A ce jour, la Succession est en lice pour le Goncourt …