Choderlos de Laclos, Les Liaisons dangereuses
Agenda
Le 12 avril, on lira Sonietchka de Ludmila Oulitskaïa (Prix Médicis Étranger 1996) et Les Abeilles Grises d’Andreï Kourkov (Ed. Liana Levi 2022). Chacun pourra, en outre, évoquer d’autres ouvrages et auteurs contemporains ukrainiens ou russes.
La rencontre aura lieu comme d’habitude à la médiathèque de Saint-Pierre d’Oléron à partir de 18 h.
Les Liaisons Dangereuses (1782)
Lors de la conférence UTL du 14 mars, Nicole Pellegrin a traité de L’éducation des filles au XVIIIe siècle, en évoquant en particulier le roman épistolaire de Choderlos de Laclos ainsi que son Discours sur la question de l’éducation des femmes, publié un an plus tard. Elle nous fait le plaisir de sa présence pour lire Les Liaisons Dangereuses.
On traverse la vie du militaire et auteur, Pierre-Ambroise-François Choderlos de Laclos, notamment via quelques anecdotes liées à La Rochelle et à l’île d’Aix, probable lieu de rédaction de cette œuvre qui fit scandale et inspire aujourd’hui encore moult interprétations.
Nicole Pellegrin propose d’entrer dans le roman en évoquant les adaptations cinématographiques qui ont pu influencer notre lecture ou relecture des 175 lettres. Quel film semble être le plus fidèle au propos de l’auteur, sur le plan de l’intrigue, ou de la psychologie des personnages, ou encore de l’intention morale ? Qui de Gérard Philippe ou de John Malkovich incarne « notre » Valmont ? Quant à la marquise de Merteuil… La question, tout sauf anodine, provoque un déluge de réactions et la séance ne suffira pas à épuiser le sujet.
Pour d’aucuns, la Merteuil est le parfait exemple du dépit amoureux, ou de la stratégie dominatrice, pour d’autres elle est un condensé de perfidie et de cruauté, et, si elle se raconte libertine, sa perversité manipulatrice n’a rien à envier à celle de Valmont. Diabolique, diront les uns, monstre d’individualisme, diront les autres ; et certes, femme puissante et libre qui s’est formée elle-même par les lectures, l’observation et la réflexion, comme elle l’expose longuement à Valmont dans la lettre 81. Pour apprécier finesse et justesse des portraits, on poursuit avec les personnages de femmes plus attachants ou plus tendres : Mesdames de Tourvel, vertueuse et sincère, de Volanges, image de respectabilité qui peine à trouver le mode d’éducation qui conviendrait à sa fille, de Rosemonde, la vieille amie qui souffre d’un malheureux rhumatisme à la main, mais ne manque ni de lucidité ni de duplicité. Comme s’en réjouit notre conférencière, ce roman parvient à nous faire passionnément prendre fait et cause pour l’un ou l’autre de ces protagonistes de fiction ! Nous ne manquons pas de lire quelques passages pour éclairer nos propos et découvrir plus avant l’écriture de Laclos.
Le récit de la défloration de Cécile, dans une lettre de Valmont à la marquise de Merteuil (lettre 96), et la narration de ce viol par la naïve écolière, soulignent la permanence des questions sur l’éducation des femmes. En témoigne, par exemple, cette confession de Cécile à Merteuil – grondez-moi bien car je suis bien coupable /…/ ce que je me reproche le plus, c’est que j’ai peur de ne pas m’être défendue autant que je le pouvais – en parfaite correspondance avec le fieffé Valmont – la tendre amoureuse a cédé d’abord et fini par consentir. Tout est dit…
Même si on a pu caler sur des tournures quelque peu désuètes ou alambiquées, force est de constater que la prose épistolaire de Laclos sonne juste, excelle à distiller les sentiments comme les atermoiements, les roueries comme les plus subtiles émotions. L’auteur endosse le costume de chacune de ces figures, victime ou bourreau, témoin ou complice, en lui donnant le langage qui lui convient.
En lisant, ou en relisant, Les Liaisons Dangereuses autrement que comme les mauvaises mœurs des hommes et femmes dépravés, ces aventures licencieuses qui ont fait le scandale et le succès du roman, on y découvre une part de son Discours de 1783, à savoir : l’éducation des femmes est impossible dans une société où elles sont empêchées, essentiellement par les hommes. On va bien au-delà d’une correspondance libertine dans laquelle Laclos aurait sauvé la morale en punissant les méchants.
Pour compléter ou découvrir a posteriori
L’intégralité du roman sur wikisource ;
Une présentation avec illustrations et analyses sur Gallica, le site de la BNF ;
Sans oublier les élégantes créations ciseaux-pinceaux de Véronique, alias Joséfine K (cabane 23 sur le port du Château d’Oléron), qui décortiquent à l’envi les Lettres de Laclos. Ses Palimpsestes seront exposés à l’Eldorado dans la deuxième quinzaine d’avril.