Victor Segalen

Invitée pour une conférence UTL, Colette Camelin a dévoilé un Victor Segalen, médecin de marine, sinologue, archéologue, poète, écrivain prolixe et quelque peu ignoré, y compris durant sa courte vie (1878-1919). Pourtant, en cette année du centenaire de sa mort, ses œuvres rejoignent le panthéon de La Pléiade.

Quelques perspicaces découvreurs de notre Café Littéraire avaient, lors de sa parution, évoqué le livre de Jean Luc Coatalem, Mes Pas vont ailleurs (Prix Femina Essai, 2017), rédigé comme une longue missive à Victor Segalen, son quasi-frère breton-écrivain-voyageur : « en ce mois de mai 1919/…/ Vous n’êtes pas d’un naturel liant. Vous ne commenterez pas l’actualité des journaux avec quiconque – les étudiants chinois qui se soulèvent à Pékin, les répercussions de l’assassinat du révolutionnaire Zapata au Mexique, les affrontements entre syndicalistes et forces de police à Paris, auxquels vous êtes indifférent. Vous vous montrez très poli mais en tenant toujours les autres à distance. Vous affichez et revendiquez votre solitude. /…/ Tout juste quarante et un ans et ce mélange extraordinaire chez vous, sur votre visage comme dans votre allure, d’homme mûr et d’enfant. »

L’œuvre de Segalen est restée longtemps comme un immense chantier : beaucoup d’écrits épistolaires, poétiques, ou romanesques ont été archivés sous diverses versions plus ou moins achevées. L’association Victor Segalen voudrait faire partager ce qu’ils ont en commun : « la fécondité des regards croisés entre des cultures apparemment étrangères ».

 

Colette Camelin a choisi pour nous René Leys publié en 1922. Chacun reconnait que ce court roman, abondé de moult notes, est loin d’être aisé à lire, même si on sait apprécier les quelques traits d’humour, envolées poétiques et autres anecdotes exotiques d’un récit quelque peu rocambolesque. Il s’agit donc d’essayer d’en comprendre et le scénario, et la genèse, et la structure emboitée, et la part autobiographique, et peut-être la symbolique culturelle. Bref, les éclairages de la spécialiste sont fort bienvenus, y compris a posteriori…

Dans sa correspondance, Segalen présente son travail comme l’envers parodique d’un autre projet d’écriture, Le Fils du Ciel, resté inachevé. En imaginant la rencontre entre un narrateur, son alter ego, et un René Leys qui veut découvrir La Cité Interdite, Segalen construit son roman comme s’il voulait mettre à distance sa propre fascination pour la Chine Impériale, comme s’il voulait dénouer ce qui se cache sous les conspirations, les déguisements, les passions, les trahisons, et même sous ce qui parait si bien organisé, la cité, les dynasties, l’architecture ou le protocole, entre autres. Mais le récit servi au lecteur, initialement rédigé comme un journal, a bien l’air d’être une fameuse supercherie. Rappelons-le : René Leys enseigne le mandchou, est fils d’un épicier en gros d’origine belge, professeur à l’Ecole des Nobles du Palais et n’a pourtant que dix-sept ans ! On trouvera d’autres éléments plus croustillants au fil des pages…

Les questions suivent, accompagnées de lectures d’extraits, sur la relation du narrateur à son personnage, le regard de Leys (vs de Segalen) sur les femmes, les coutumes impériales, la justice (oui, il est question de supplice chinois…), le théâtre, etc… Colette Camelin, qui travaille en étroite collaboration avec les descendants de Victor, a visité les lieux qu’il décrit, nous ouvre peu à peu des pistes d’interprétation, et étaye ses réponses d’autres références :
Simon Leys, Les Habits neufs du Président Mao, Champ Libre, 1971.
Liao Yiwu, Dans l’empire des ténèbres, un poète dans les geôles chinoises. Françoise Bourin Editeur, 2013. (Ames sensibles, s’abstenir).
Alfred Döblin, Les Trois Bonds de Wang Lun. Fayard, 2009 pour l’édition française. (Un événement de l’histoire chinoise du XVIIIe siècle : un soulèvement des pauvres contre l’oppression.)
Jean François Billeter, Chine trois fois muette. Editions Allia, 2000. (Un essai très éclairant sur la Chine d’aujourd’hui).

Nous remercions sincèrement Colette Camelin qui nous a fait partager si généreusement sa connaissance de « Victor Segalen, artiste attentif à la diversité du monde ».

 

Agenda

Mardi 10 décembre, guidés par Mireille et Michel, nous évoquerons Georges Simenon, et plus particulièrement Le Testament Donadieu, La Maison du Canal, Pedigree.

Si vous n’avez pas encore envoyé votre liste au Père Noël, le vrai, celui qui remplit sa hotte de bouquins, notez que la séance du 14 janvier 2020 sera animée par Marina Salles, pour le roman de JMG Le Clézio, Alma (Gallimard, 2017).

Victor Segalen, René Leys – Café littéraire du 25 novembre