Rencontre avec Valentine Goby
Nous ouvrons cette dixième année de Café Littéraire en accueillant Valentine Goby. Gageons que cette exceptionnelle rencontre sera de bon augure après une saison pandémiquement tronquée. D’autant que le roman Murène (Actes Sud, 2019), est celui d’une métamorphose. Il s’agit, selon l’autrice qui confirme écrire « sous la tutelle d’Ovide, /…/ d’une histoire de vivant capable de survivre à l’évolution comme aux catastrophes de l’Histoire. »
Anny présente Valentine Goby, autrice de treize romans et de nombreux ouvrages pour la jeunesse, dont L’Anguille (Thierry Magnier, 2020), une réécriture de Murène qui met en scène une adolescente née sans bras. En mai 2014, les participants du Café Littéraire avaient été bouleversés par son roman Kinderzimmer, lauréat de treize prix et traduit dans plusieurs langues.
Un des traits communs à tous ses romans, nous dit Valentine Goby, est celui du corps, « le corps qui veut, qui peut, qui doit /…/ le corps est une matière à écrire ». L’écriture de Murène lui est venue quand elle a découvert à la télévision le nageur Zheng Tao, médaillé aux jeux paralympiques de Rio en 2016 : « Je contemple l’athlète à la silhouette tronquée, son sourire vainqueur, sa beauté insolite. » Si, à ce moment-là, elle ignore tout du handisport et va, de fait, tenter de se documenter sur son histoire, c’est l’instant de la métamorphose, celle qui change la monstruosité en beauté, qui va faire naitre le personnage de François Sandre (un nom de poisson, déjà), jeune homme de 22 ans, fauché par un arc électrique, dans l’hiver ardennais de 1956. Le récit des épreuves auxquelles cet accident le soumet ne se veut pas chronologique ; il ne s’agit pas d’embarquer le lecteur dans un ruban de compassion. Certes, face à l’événement, François est, tout comme ceux qui l’entourent, famille, équipes médicales, proches ou inconnus, aussi « innocent et désemparé qu’un nourrisson » ; tout est à inventer ; tout est à imaginer. Le parcours de François est bien plus qu’une reconstruction : « en devenant autre, on devient soi ». C’est la force du roman. Les premières pages donnent le La : «Face au bassin, François très droit, immobile, pieds nus écartés, /…/ il fixe son reflet changé par les remous. /../ il se dit que depuis un an il a changé d’espèce ».
En évoquant le choix de son titre, Valentine Goby éclaire davantage encore la question de la mutation qui se nourrit du regard de l’autre. Comme Victor Hugo, un de ses maitres en écriture, Valentine Goby sait voir le sublime dans la laideur. La Murène est une créature ambivalente, carnassière, laide, qui par son étrangeté même peut susciter l’effroi ; pourtant lorsqu’elle quitte son anfractuosité, la grâce de son mouvement est d’une rare beauté ; sortie des ténèbres, elle se meut et devient autre.
A la question concernant le lexique d’une redoutable précision, parfois obscur, notamment lorsqu’il s’agit de créatures subaquatiques ou des techniques de soins et d’appareillage des mutilés au milieu du XXème siècle, Valentine Goby confirme le rôle essentiel du travail de documentation qui précède et accompagne l’écriture de ses romans : « avec les mots, je visite des univers que je ne connais pas. »
On aimerait bien prolonger la rencontre en évoquant la prégnance extraordinaire des personnages de femmes, la mère, la sœur, l’infirmière, l’amante oubliée, la compagne, toutes celles qui sont les voix de la prise de conscience collective. « Si le père est désemparé, c’est une question d’époque ; la question du genre n’est pas essentielle à ce sujet, contrairement à d’autres de mes romans », précise-t-elle.
Valentine Goby illustre volontiers ses propos en lisant quelques pages. Avec l’épisode haletant où Mum, la mère de François vient d’apprendre la tragédie – Il n’est pas mort. Vivant, je ne sais pas -, sa diction décuple nos émotions. Murène n’est pas un récit pour faire pleurer dans les chaumières ; c’est un livre lumineux parce que c’est à la fois « l’histoire d’une lutte collective » et celle « d’un mutant magnifique ».
Lecture après lecture, on avait défini deux critères pour qualifier un bon livre : un livre qu’on relira, un livre qu’on offrira. Avec les romans de Valentine Goby, on en ajouterait bien un troisième : un roman qu’on n’oublie pas !
Agenda
Le Café Littéraire se réunira le mardi 10 novembre à 18h pour la lecture du roman de Joyce Carol Oates, Un livre de Martyrs Américains (Points Poche).