Agenda
Lundi 14 mars, la conférence UTL de Nicole Pellegrin portera sur : Pierre Choderlos de Laclos et l’éducation des filles au XVIIIe siècle.
Nous l’accueillerons le mardi 15 mars pour lire Les Liaisons Dangereuses (Poche). Nos rencontres se déroulent à la médiathèque de Saint-Pierre d’Oléron à 18 h.
Biographies de peintres : Un étranger nommé Picasso : dossier de police n° 74664
L’ouvrage d’Annie Cohen-Solal, Prix Femina Essai 2021, va de pair avec l’exposition Picasso l’Étranger, présentée au musée de l’Histoire de l’immigration à Paris, du 18 octobre 2021 au 14 février 2022, dont le site offre un éclairage bien utile à notre lecture. En outre, le musée virtuel, qu’Annie Cohen-Solal propose sur son site personnel, donne tous les liens iconographiques des œuvres citées dans cette magistrale enquête.
Annie Cohen-Solal, historienne, chercheuse et commissaire de l’exposition, dédie son ouvrage « A l’artiste qui, pour construire sa carrière, est en train de traverser l’Afrique à pied ou la Méditerranée sur un canot de fortune. ». Ce volumineux travail de recherche offre une approche originale de l’histoire de Picasso, l’homme et l’artiste, qui traverse l’essentiel du XXème siècle sans obtenir la nationalité française. En effet, en 1940, alors que sa célébrité internationale est indiscutable, Picasso obtient cette réponse à sa demande de naturalisation « cet étranger /… / doit être considéré comme très suspect au point de vue national » (p. 431). Après l’arbitraire des contrôles du temps du Bateau-Lavoir, il subit la bureaucratie xénophobe de fonctionnaires zélés ; il ne recevra qu’en 1948 une carte de « résident privilégié ». Et les tracasseries administratives viendront ensuite des États-Unis qui se méfient du Picasso « communiste subversif » (p.559). Tout son parcours de métèque / met-oikos (p. 598) renvoie irrémédiablement à notre présent : « Pour une frange de la société française, Picasso devient l’archétype de la menace, puisqu’il va représenter de plus en plus, tout ce que les patriotes détestent : il est riche, célèbre, indéchiffrable, incontrôlable, cosmopolite. ». Annie Cohen-Solal expose d’emblée le propos de ces quelque 600 pages : « Si l’œuvre de l’artiste a suscité expositions, ouvrages et commentaires en progression exponentielle à la hauteur de son immense talent, la situation de Picasso « étranger » en France a paradoxalement été négligée ». Elle s’y attèle en exploratrice des archives comme de l’œuvre « dans son éblouissante productivité » et nous fait partager ses hypothèses autant que ses découvertes. Dès lors qu’il s’agit de l’homme, de ses alliances, de ses trajectoires politiques et de sa vie personnelle, notamment de ses relations avec les femmes, l’autrice est prudemment objective et nuancée. Elle reconnait volontiers « le stratège /…/ jouant à la fois plusieurs parties d’échecs sur plusieurs tableaux, contre plusieurs partenaires, à des échelles de temps variés et sur des espaces topographiques différents. Picasso va gagner sur toute la ligne… » (p. 514). Cependant, face à la complexité du personnage, sa rigueur d’historienne repère les zones d’ombre : « il est difficile de démêler la vérité » (p. 467) ; « Picasso qui a toujours aimé jongler avec ses multiples appartenances » (p. 499) ; il « était parvenu à tourner toutes les situations à son avantage » (p. 502). Elle ne cache pas son admiration pour « ses cultures plurielles », ses rencontres fructueuses avec les Apollinaire, Breton, Braque, Matisse, Chagall, Cocteau et autre Césaire, la dimension internationale de son influence. Au passage, Aline nous signale l’amitié de Picasso avec le poète andalou Rafael Albertí (1902-1999) et nous lit quelques vers de Los Ojos de Picasso (1966). Annie Cohen-Solal insiste sur le Picasso travailleur compulsif, acharné comme s’il avait une mission qui dépasse son propre destin. Non seulement il dessine, peint, sculpte, grave, illustre, expose, s’intéresse aux techniques les plus diverses, les expérimente pour mieux les transgresser, mais il remplit des carnets de croquis et de notes, organise, archive, et négocie. Au fil des pages, la place de l’argent est non négligeable ; si Picasso a d’abord connu la précarité matérielle, il a su s’entourer et valoriser sa création. Annie Cohen-Solal mentionne volontiers les prix de vente tout autant que les procédures des acheteurs et galeristes qui ont d’abord contribué à son ascension, et les tractations avec les musées ou lors des expositions. Ce qui frappe, c’est l’exceptionnelle durée et étendue de sa créativité. Annie Cohen-Solal souligne cet étrange gigantisme, taille des tableaux, multiplicité des inspirations, des supports, des lieux de création et d’exposition. Plus on avance dans la chronologie, plus sa fécondité est notoire (p. 568). Ses œuvres ne cessent de susciter admiration et polémique, curiosité et controverse « transgressant toutes les limites dans tous les genres » (p. 573). L’auteure insiste sur l’aspect pluriel, inclassable et insaisissable de Picasso tant dans son parcours de vie que dans les multiples facettes de son entreprise. En évoquant son héritage (via un inventaire quantitatif p. 592), elle nous donne à voir « cette somptueuse collection /…/ le plus beau signe de réhabilitation de l’étranger ».
Nous ne manquons pas d’aborder l’ouvrage de Sophie Chauveau, Picasso, le Minotaure (Folio). La vie de Picasso, en effet, est aussi celle qu’il parcourt avec les femmes, compagnes, mères, muses et modèles (Annie-Cohen Solal en cite sept). Le propos de Chauveau, dont nous apprécions d’autres biographies de peintres, nous donne à voir un Picasso, certes artiste exceptionnel, mais aussi outrageusement dominateur, Picasso l’ogre. Michèle lit quelques passages qui nous laissent pantois… Pourtant Annie Cohen-Solal nous avait prévenus « Picasso tournant autour de son modèle, l’embellissant, la transformant, la déformant, l’annexant, tel un fauve autour de sa proie » (p. 356). On pourra lire Vivre avec Picasso (10/18) de Françoise Gilot, artiste peintre, la mère de ses deux plus jeunes enfants.
Explorer le thème « Lire les peintres »
Annie Cohen-Solal ; Un jour ils auront des peintres (Folio). Une épopée des peintres américains jusqu’à la Biennale de Venise en 1948.
Isabelle Monnin et Doan Bui ; Ils sont devenus français ; Dans le secret des archives (Points). De Zola à Cavana, d’Apollinaire à Chagall, autant d’émigrés aux destins illustres et leurs dossiers de naturalisation.
Yannick Haenel ; La Solitude Caravage (Folio).
Zoé Valdes ; La Femme qui pleure (Arthaud Poche). Une évocation de Dora Marr après sa rupture avec Picasso.
Clélia Renucci ; Concours pour le paradis (Poche). Rivalités entre peintres, notamment Véronèse et Le Tintoret, enjeux artistiques et politiques, après l’incendie du Palais des Doges en 1577.
Mario Vargas Llosa ; Le Paradis – un peu plus loin (Folio). Une double biographie romancée, celle de Flora Tristan, militante socialiste et féministe des années 1840, et celle de son petit-fils, Paul Gauguin, dans les dernières années de sa vie en Polynésie.
Timothy Brook ; Le Chapeau de Vermeer – Voir dans les tableaux du peintre hollandais le XVIIe siècle à l’aube de la mondialisation. (Payot Poche).
Laurent Greilsamer ; Le Prince foudroyé – la vie de Nicolas de Staël (Poche).
JMG Le Clezio ; Diego et Frieda (Folio).
Et aussi les ouvrages de Sophie Chauveau : Lippi, Vinci, Botticelli, Manet (Folio).
C’est sûr, voilà de fabuleuses pistes de lecture, d’ores et déjà appréciées par bon nombre des participants !
On a lu, on lira
Albert Cossery ; Mendiant et orgueilleux (Editions Joelle Losfeld)
Didier Eribon ; Retour à Reims (Poche)
Rosa Montero ; La Bonne Chance (éd. Métailié)
Léonardo Padura ; Poussière dans le Vent (éd. Métailié)