Avant de donner la parole à Anny qui évoquera la vie et l’œuvre de Charlotte Delbo, un petit aperçu de l’agenda et de l’actualité littéraire.
Agenda
Le 3 juillet, dernière séance de la saison, on remplira ensemble La Valise de l’été avec les livres suggérés par les participants. D’ici là, chacun aura retenu un titre et son auteur ainsi que les arguments justifiant qu’on emporte tel ou tel roman, essai, recueil de poèmes, récit, etc. Par exemple, on pourrait plaider pour Pierre Loti, Voyages (collection Bouquins, R. Laffont), parce qu’on peut lire ce recueil par fragments; parce qu’il fait voyager sans bouger; parce qu’on est en vacances à Oléron ou à Rochefort ; parce que le volume pesant 916 g., il sera bienvenu pour caler sa serviette de plage; parce qu’en ouvrant une page au hasard, on découvre une plume qui sait nous dire « des bourdonnements de mouches emprisonnées dans la main, des frôlements d’ailes de phalènes contre une vitre, des agonies de libellules ».
Pour participer au jury du prix des lecteurs du Festival de Littérature Européenne de Cognac, il suffit de s’inscrire auprès de la médiathèque de St Georges d’Oléron. La Littérature Baltique est à l’honneur ; les 5 romans choisis sont disponibles en prêt.
Actualité littéraire
Philippe Roth est parti pour le grand voyage, le 22 mai 2018, sans doute l’occasion de lire ou relire quelques-uns de ses plus grands romans (voir le CR du 3 février 2015).
Le 5 juin, le Goncourt de la biographie a été attribué à Denis Demonpion pour Salinger intime: Enquête sur l’auteur de L’Attrape-cœurs (Robert Laffont, 2018).
Le 3 juin, le prix du Livre Inter a été attribué au premier roman de David Lopez, Fief (Seuil, 2017).
On note la nouvelle traduction de 1984, de Georges Orwell par Josée Kamoun, également traductrice de P. Roth, (Gallimard, 2018).
La littérature des camps, écrire la déportation
La séance de ce 5 juin, initialement prévue comme une rencontre avec Ghislaine Dunant, auteure de Charlotte Delbo, La vie retrouvée (prix Fémina essai 2017), fait suite à l’intervention à l’UTL de Dominique Moncond’huy qui a remplacé Ghislaine Dunant. Le propos du conférencier était celui de l’analyse littéraire ; il a, en particulier, établi un parallèle avec L’Espèce humaine de Robert Antelme, autre grand nom de la littérature française des camps.
Pour aller plus avant, Anny apporte des éléments factuels en évoquant la vie de Charlotte Delbo avant et après la déportation, en lisant des extraits notamment de Le convoi du 24 janvier 1943, et en présentant l’ensemble de l’œuvre de cette résistante et auteure sans doute trop peu connue (une quinzaine d’ouvrages au total).
L’échange avec les participants souligne la force de cette écriture, dit à quel point la lecture de « Aucun de nous ne reviendra » ou de la préface de « Le Convoi du 24 janvier » a pu bouleverser. La lecture de Charlotte Delbo est certes éprouvante, mais comme elle le dit : « Nous aurons eu la force de le vivre, pourquoi n’auraient-ils pas la force de l’entendre« .
L’œuvre de Charlotte Delbo met en évidence la puissance de la langue et de la littérature. Dans l’univers des camps, parler, réciter, intérieurement ou pour d’autres, était essentiel à la survie. Ainsi, elle et ses compagnes reconstituent à force d’effort collectif de mémoire « Le Malade imaginaire » qu’elles mettent en scène à Raisko (camp à 2 km d’Auchswitz) ; ou encore Charlotte à Ravensbrück achète, contre sa ration de pain, « Le Misanthrope » et l’apprend par cœur. Dès son retour, Charlotte Delbo élabore l’écriture qui permet de donner à voir Auschwitz, de témoigner de cette expérience tragique car pour elle rien n’est indicible : « La littérature est assez grande pour tout englober…Rien ne doit échapper au langage« . Le premier tome Aucun de nous ne reviendra est rédigé dès 1946.
Les livres de Charlotte Delbo montrent en outre, et peut-être surtout chez elle et ses compagnes, qu’en dépit du système concentrationnaire nazi et de l’abjection qu’il génère, l’humanité, la solidarité, la bonté, la tendresse demeurent. Les liens déjà noués avant la déportation, dans la résistance, à la Santé, au fort de Romainville (près d’un an de détention avant la déportation) sont les clés de la survie. La dispersion des survivantes à la libération sera une des difficultés majeures du retour (cf le 3ème tome de Auschwitz et après, Mesure de nos jours). On lit, non sans émotion, des fragments de « Viva », « Lulu », « La tulipe »...
Charlotte Delbo voulait non seulement témoigner, mais aussi faire œuvre littéraire et ainsi être entendue; nous souhaitions la faire découvrir. Charlotte Delbo et ses écrits ont animé de nombreux débats publics et privés, nombre de ses livres, grâce à la librairie des Pertuis et aux médiathèques, ont trouvé preneurs. Nous avons contribué à susciter le désir de la connaître et de l’apprécier, tant comme personnage de la Résistance que comme femme de lettres qui témoigne que les pires forces de destruction ne viennent jamais à bout de la magnifique solidité des mots.
Références
Charlotte Delbo, Auschwitz et après. I, Aucun de nous ne reviendra; II, Une connaissance inutile; III, Mesure de nos jours (Éditions de Minuit, Coll. Documents,1971).
Charlotte Delbo, Le Convoi du 24 janvier (Editions de Minuit, 1966).
Violaine Gelly et Paul Gradvohl, Charlotte Delbo (Editions Fayard 2013 et Livre de Poche).
Ghislaine Dunant, Charlotte Delbo, La Vie Retrouvée (Grasset, 2016), Prix essai Femina.
Robert Antelme, L’Espèce Humaine (Gallimard, 1978).
Valentine Goby, Je me promets d’éclatantes revanches, (L’Iconoclaste, 2017).
Le site Les amis de Charlotte Delbo.