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Nous nous retrouverons le 12 février 2019 autour des nouvelles d’Anton Tchékhov. Nous retenons plus spécifiquement le volume La dame au petit chien, et autres nouvelles (Livre de Poche).

Une Rencontre avec Josyane Savigneau autour de l’auteure américaine Carson McCullers

C’est non sans plaisir que nous accueillons pour la troisième fois Jo Savigneau au Café Littéraire. Ce fut d’abord pour la biographie qu’elle a consacrée à Philippe Roth (voir CR fev 2015), puis pour La Passion des Écrivains (voir CR nov 2016). Et ce soir, nous évoquons le centenaire de la naissance et le cinquantenaire de la mort de Carson McCullers (1917-1967).

Nous abordons succinctement le lien entre la découverte d’un livre, ou plus largement d’une œuvre, et celle de son auteur. Parfois, c’est la notoriété, la personnalité, le parcours, les engagements d’un auteur qui incitent à le lire ; parfois l’inverse, par exemple lorsqu’on devine que la Mike Kelly dans Le cœur est un chasseur solitaire ou Frankie Addams seraient largement inspirées de Lula Carson Smith.

Jo Savigneau a intimement associé les deux dans Carson McCullers, un cœur de jeune fille. Cette biographie, rééditée à l’occasion du centenaire, se lit comme un fabuleux roman, comme le récit de la vie audacieuse et transgressive d’une américaine sudiste, auteure prodige, qui s’engage tout entière en littérature pour nous dire, aujourd’hui encore, combien il est ardu de passer de l’adolescence à l’âge adulte, combien il est difficile de résister aux conformismes et aux compromissions. Alerte, fort documenté, conjuguant habilement sources authentiques, anecdotes, entretiens et références originales, l’ouvrage de Jo Savigneau «a essayé de retrouver au plus juste possible la figure de cette étrange femme-enfant, écrivain si accompli dès sa jeunesse» et donne envie de lire ou de relire romans et nouvelles de Carson McCullers, «une fille de fer» (titre d’abord pressenti pour cette biographie), «une personnalité à jamais incorrecte».

Les interventions de Josyane Savigneau soulignent à quel point chez McCullers, vie et œuvre sont étroitement imbriquées : comment se dessine un destin d’abord voué à la musique mais si totalement consacré à l’écriture ? comment, quand on n’est encore qu’une jeune femme, dire sa révolte face à la question raciale, aux injustices de tous ordres et «au peu de prix attaché à la vie humaine»? comment affronter la fondamentale solitude intérieure ? comment «supporter plus longtemps cette existence quand la vie est devenue un fardeau» ? Alors suivons Carson et nous voilà avec Flannery O’Connor, Tennessee Williams ou Truman Capote, les écrivains sudistes, avec Reeves, le deux fois mari, le soldat débarqué en Normandie, avec les écrivains qu’elle lit et relit, Proust, et Tchékhov et «les russes» et Blixen, avec ceux qu’elle rencontre, même brièvement comme Beauvoir ou Sagan, avec ceux qui la détestent ou l’envient pour ses comportements d’androgyne, ses poses d’éternelle adolescente ou parce «qu’elle buvait des bières toute la journée et passait au cognac en fin d’après-midi».

Suivons Carson McCullers et rencontrons ses personnages, les maladroits, les fatigués, les cyniques, les tourmentés, les souffrants, ceux qui doivent malgré tout faire leur chemin entre rêves, illusions et ambitions, ceux qui boivent plus volontiers du whisky que du coca, ceux dont elle peut dire quand on la questionne sur cette étrange photo de famille : «l’infirmité physique est le symbole de l’infirmité spirituelle […]: une incapacité qui interdit d’aimer ou de recevoir l’amour.» Pourtant, affirme sa biographe, McCullers a « contre les détresses du corps et du cœur, un inconcevable acharnement à exister » ; et comme le dit Malone, le personnage de son dernier roman, L’Horloge sans aiguille « l’essentiel dans la vie, c’est de savoir transformer une expérience désagréable en une expérience heureuse ».

A la question : quel roman faut-il lire pour apprécier McCullers comme vous l’appréciez ? Jo Savigneau répond Tous ! On ne peut qu’y souscrire. Un peu de temps pour évoquer le si singulier roman Reflets dans un œil d’or, un huis clos tragique et incisif, interprété (magistralement selon Jo Savigneau) par Marlon Brando et Elizabeth Taylor dans le film de John Huston. Ou pour souligner la foisonnante fulgurance de ce premier roman Le cœur est un chasseur solitaire,  qui met en scène John Singer, un sourd-muet qui « entend tout » auquel viendront se confier la plupart des protagonistes, la jeune Mike, le Dr Copeland de plus en plus fatigué d’argumenter dans le vide, lui qui voudrait bien que ses frères Noirs s’émancipent, ou encore Blount le communiste, lui qui voudrait bien que les ouvriers exploités se révoltent plutôt que de se poser «des questions sur le prix du rognon de porc et la taxe sur la bière». Et n’oublions pas Frankie Addams, dont la très libre adaptation cinématographique de Claude Miller, l’Effrontée, ne donne qu’un pâle reflet… alors que l’adaptation théâtrale (en 1949) fit un triomphe à Broadway.

Et si nous partagions encore un peu de Carson McCullers, avec ou sans quelques tasses de hot sherry tea

Jo Savigneau reviendra, sans doute, parler avec nous de livres et d’écrivains ; entre temps, nous aurons probablement découvert Une conversation infinie (Philippe Sollers & Josyane Savigneau. Bayard Presse) qui paraîtra le 23 janvier 2019.

Compte-rendu du Café Littéraire du 15 janvier 2019