Agenda
La séance du 6 février 2024 portera sur Proust Roman Familial de Laure Murat, Prix Médicis Essai 2023, (Ed. Robert Laffont).
On a lu, on lira
Déserter de Mathias Enard (Actes Sud, 2023).
Leçons de Ian McEwan (Gallimard, 2023).
Naisseur de Delphine Laurent (Albin Michel, 2023).
Psychopompe de Amélie Nothomb (Albin Michel, 2023).
Le Cousin de Michèle Aubrière (Éditions des Femmes, 2024).
L’hôtel du Cygne de Zhang Yueran (Zulma, 2021) ; nous projetons une incursion dans la littérature chinoise contemporaine pour une prochaine séance ; toute suggestion est bienvenue !
Narcisse et Goldmund de Hermann Hesse (livre de Poche), dont le personnage de Goldmund devenu sculpteur fait écho au Mimo de JB Andrea.
Stefan Zweig, Vingt quatre heures de la vie d’une femme et autres écrits
On se réjouit d’avoir ouvert ou réouvert les pages de Stefan Zweig. Quelques rappels biographiques confirment à quel point cet auteur, né dans une Vienne culturellement foisonnante, voyageur insatiable ou exilé volontaire (« étranger partout » écrit-il dans Le Monde d’hier. Souvenirs d’un Européen), est un homme tourmenté, de plus en plus désespéré devant les conflits mondiaux du XXème siècle qui vont anéantir son idéal pacifiste.
Écrivain prolifique, connu surtout pour ses nouvelles (nous évoquons Amok, Lettre à une Inconnue, Le Joueur d’Échecs, La Confusion des Sentiments…), Zweig a traduit (Verlaine, Baudelaire), a écrit des essais (Dostoïevski, Tolstoï) et des biographies (Balzac, Émile Verhaeren, Romain Rolland, Magellan ou Marie-Antoinette), des poèmes et des pièces de théâtre, a donné des conférences à travers le monde ; bref, on ne peut que s’étonner d’une telle envergure. Constamment rééditée, glosée, traduite dans moult langues, éclairée de ses Correspondances, l’œuvre de Zweig, très appréciée de son vivant, poursuit son chemin de célébrité.
La nouvelle que nous avons retenue, Vingt quatre heures de la vie d’une femme, ouvre quelques pistes de lecture, constats et interrogations. Zweig situe fréquemment ses récits dans des contextes propres au voyageur, propices aux rencontres inopinées et cosmopolites (hôtel, paquebot, casino…). Il donne vie à des personnages complexes, notamment des femmes qui aspirent à échapper à leur condition, comme Mme Henriette : « on aurait parfaitement compris que cette petite Madame Bovary échangeât son époux rondelet et provincial pour un joli jeune homme /…/ ce qui aurait suffi à amener une femme irréprochable à abandonner du jour au lendemain son mari et ses deux enfants ». Ami de Freud, dont il ne partage pas forcément les interprétations, Zweig excelle à dire avec autant d’empathie que d’originalité le paradoxe des comportements, la confusion des sentiments, la puissance mystérieuse de la séduction, la profondeur des émotions, y compris dans les moments les plus tragiques (La Peur, Le Joueur d’Échecs, La Contrainte). On relira avec délectation les quelque huit pages qui donnent caractères aux mains des joueurs sur le tapis vert, « cette sorte d’arène des mains /…/ où des tempéraments se démasquent ».
L’écriture élégante de Zweig, si on excepte quelques propos et formulations qu’on n’admettrait plus aujourd’hui (par exemple les Jaunes dans Amok, le fou de Malaisie), est parfaitement moderne, même si d’aucuns en déplorent parfois le romanesque. Récurrent dans ses nouvelles, le procédé qui consiste à faire raconter par un personnage (ici la vieille dame de 67 ans) un épisode de sa vie permet peut-être à Zweig de prendre une certaine distance par rapport à l’immédiateté d’un vécu intense et troublant.
On ne manquera pas de retrouver Laurent Seksik (voir CR de sept.2023) avec Les Derniers Jours de Stefan Zweig (J’ai Lu, 2011) ; on pourra également en apprécier la version BD (Laurent Seksik et Guillaume Sorel, Casterman, 2012).
Dommage, on n’a pas eu le loisir d’évoquer les nombreuses adaptations cinématographiques de l’œuvre de Zweig.