La saison 2022-2023, la douzième, accueille avec plaisir les nouveaux arrivants comme les fidèles participants ; merci à l’équipe de la Médiathèque de St Pierre qui poursuit l’aventure avec nous.

Agenda

Le 8 novembre 2022, nous lirons Chien 51 de Laurent Gaudé (Actes Sud, 2022).
Dans le cadre du Festival Visions d’Afrique, Mehdi Charef, auteur notamment de Le Thé au Harem d’Archi Ahmed (1988, Folio) sera à la médiathèque de Chéray, le vendredi 21 octobre à 15 h.

On a lu, on lira

On partage nos lectures de l’été et on évoque à grands traits quelques romans de cette rentrée littéraire, en attendant de découvrir ceux qui auront la faveur des jurys. Cher Connard de Virginie Despentes n’a pas vraiment séduit, le Vivre Vite de Brigitte Giraud contribue à faire de cette autrice une de nos favorites. On retiendra deux belles découvertes : L’autre moitié du Monde de Laurine Roux (Les Éditions du Sonneur, 2022) et Attaquer la Terre et le Soleil de Mathieu Belezi (Le Tripode, 2022).

Jim Harrison

Bon nombre d’entre nous ont vu le film de François Busnel, Seule la terre est éternelle (2022), tourné en partie avant la mort de Jim Harrison, en 2016. Ceci nous permet de pointer les éléments de sa biographie fort présents dans son œuvre : son goût des grands espaces, des arbres et des rivières, des chevaux comme des chiens, de la pêche et de la chasse, mais aussi ses penchants démesurés à fumer, boire, manger et autres plaisirs charnels. S’y ajoutent des aspects plus personnels qui émaillent les portraits de certains de ses personnages : la perte d’un œil lorsqu’il est enfant, la froideur de sa mère d’origine suédoise, la mort brutale des proches, le choix de vivre dans les régions les moins peuplées des USA, les marches solitaires, etc. Jim Harrison nous renvoie aux années 80, à la découverte de ses magnifiques Légendes d’Automne, et plus largement à une vague de sensibilisation à la cause indienne. Loin du folklore avec Sioux, squaws et bisons, le roman Dalva montre que l’Histoire de l’Amérique est extrêmement violente : « Si les Sioux et d’autres tribus étaient de mauvais agriculteurs, c’était parce qu’on leur avait octroyé les pires terres dans un contexte qui n’est pas sans rappeler celui de l’Afrique du Sud /…/ apartheid est peut-être un mot hollandais mais c’est aussi une idée universelle », déclare Michael, l’historien.

Lire ou relire Dalva n’est pas une mince affaire ; l’écriture d’Harrison y est particulièrement vagabonde. Dans Entre Chien et Loup, un passionnant recueil de chroniques, l’auteur dit avoir écrit Dalva de façon quasi impérative parce qu’il avait rêvé de cette femme (Carnets de Dalva, 1985-1987). Pour incarner le personnage de Dalva et sa famille de grands propriétaires terriens, les Northridge, le roman superpose deux époques : le XXème siècle des quelque quarante-cinq ans de vie de l’héroïne, et le « XIXème siècle de ce qu’on appelait la question indienne » transcrit dans les carnets de son arrière-grand-père, John Wesley Northridge, « missionnaire agricole auprès des Sioux ». En outre, Harrison confie la narration d’une part à Dalva, d’autre part à Michael auquel elle a accepté de confier les fameux carnets chargés d’Histoire aux fins de recherche universitaire ; voilà un subtil et exigeant millefeuille !

Si on peut déplorer quelques longueurs, invraisemblances et autres excès descriptifs, chacun reconnait dans ce roman un exceptionnel moment de littérature. Harrison excelle à imaginer des personnages et des aventures à la fois hors du commun et profondément ancrées dans les questions essentielles de la vie et de l’Histoire. Dalva, jeune femme de sang mêlé, part à la recherche du fils qu’elle a dû abandonner vingt-neuf ans plus tôt ; figure de liberté, force de la nature, elle n’échappe pourtant pas aux difficultés de la vie contemporaine. Harrison la croque tant dans ses magnifiques chevauchées solitaires que dans son travail de psychologue sociale ou dans la complexité de ses relations amoureuses, dans son impérieux désir de vivre le présent comme dans le besoin de comprendre son passé. Autour d’elle gravitent moult personnages attachants, souvent peu conventionnels, qui révèlent l’étendue des registres d’écriture d’Harrison. La lecture de quelques passages illustre cette diversité de ton. On apprécie le comique des amours de Ruth avec un prêtre, de la terreur de Michael, l’érudit, qui se réveille au milieu des serpents, affronte les oies ou perd une botte dans la boue ; on s’amuse du vocabulaire coloré des protagonistes en état avancé d’ébriété ; on goûte tout autant le lyrisme des évocations d’une nature extraordinaire ; et on se laisse emporter par le tragique de la mort de Duane ou l’extrême émotion que dégage l’évocation de Crazy Horse tenant sa petite fille morte dans ses bras…

Si Dalva est souvent considéré comme le chef d’œuvre romanesque de Jim Harrison, c’est à juste titre.

Café littéraire du 4 octobre 2022 : Jim Harrison