Agenda
Le 9 janvier 2024, nous lirons Stefan Zweig, en particulier Vingt quatre heures de la vie d’une femme.
On a lu, on lira quelques titres de la rentrée littéraire
L’Épaisseur d’un cheveu de Claire Berest (Albin Michel) ; L’Enragé de Sorj Chalandon (Grasset) ; Misericordia de Lidia Jorge (Métailié, Prix Médicis Étranger) ; Ouragans Tropicaux de Leonardo Padura (Métailié) ; Le Grand Feu de Léonor de Récondo (Grasset) ; Sarah, Suzanne et l’écrivain de Éric Reinhardt (Gallimard) ; Triste Tigre de Neige Sinno (P.O.L., Prix Femina, Prix Goncourt des lycéens).
Et aussi Sorj Chalandon Notre revanche sera le rire de nos enfants : reportages Irlande, Libération (1977-2006) (Black-star(s) éditions).
Veiller sur elle
Le prix Goncourt, créé pour récompenser « le meilleur ouvrage d’imagination en prose paru dans l’année », a couronné le roman de J.B. Andrea, Veiller sur elle ; sur ce point, notre assemblée fait consensus. Par contre, les appréciations de lecture divergent : trop romanesque, trop long, trop touffu, trop construit, pour les uns, fabuleux, émouvant, original, poétique, pour les autres. Certes, on ne peut s’identifier ni à Mimo, le nabot, sculpteur de génie, ni à Viola, la fille de la Villa Orsini qui fricote avec l’ourse Bianca, se couche sur les tombes et se rêve en Icare. Certes, on ne peut apprécier tant de péripéties rocambolesques qu’en se laissant porter par les vertus de la fable que revendique l’auteur : « sers-toi de ton imagination », « il n’y a pas de limites », «la vraie vie est dans les livres ».
Dans cette fresque de l’Italie du XXème siècle, Andrea offre l’historique, le crédible et l’imaginaire, croque des personnages hauts en couleur, imposants ou cabossés, des artistes et des mécènes, des hommes d’Église, de riches propriétaires terriens, des chasseurs, des villageois pauvres et des artisans besogneux, des ivrognes et des prostituées, des profiteurs et des solidaires, des fascistes et des intrigants, et même une troupe de saltimbanques (nanisme oblige). Tout foisonne : l’extravagance des comportements (les beuveries, les bagarres de rue, les amantes de Mimo), le pittoresque des querelles de voisinage, la satire de l’aristocratie déclinante, des privilèges ecclésiastiques, des intrigues du Vatican, des magouilles politiciennes. Comme dans ses trois romans précédents, Andrea cultive l’art de conjuguer illusion et réalité pour embarquer son lector in fabula. Il émaille son récit de moult clins d’œil historiques et références artistiques comme si ces poussières d’authenticité venaient corroborer l’univers imaginaire de Pietra d’Alba.
Veiller sur elle, c’est l’histoire d’une pietà sculptée par Michelangelo Vitaliani, dit Mimo, alias Gulliver, une sculpture que le Vatican a cachée non seulement parce que le Christ reposant sur les genoux de Marie était très inspiré par le corps mutilé de Viola, victime d’un tremblement de terre, mais surtout parce que cette Pietà produisait d’étranges effets chez ses contemplateurs.
Veiller sur elle, c’est l’histoire du lien insolite entre Mimo qui sculpte et Viola qui vole, d’une relation indéfectible et paradoxale : décalage social et culturel, communion et incompréhension, présence et absence,domination et adoration. Si leurs rendez-vous dans le cimetière ou dans la forêt, leurs échanges de messages ressemblent à des jeux d’enfants, Mimo et Viola partagent l’essentiel : l’audace d’être eux-mêmes, le goût du beau, la capacité à rêver, à suivre leurs utopies, à être libres. Viola fait tout découvrir à Mimo : les connaissances livresques, les comportements ad hoc, l’envie de s’envoler, la politique (elle l’avertira devant la montée du fascisme). Viola a une imagination débordante, une lucidité et une indépendance hors du commun ; Michelangelo a un destin.
Veiller sur elle, c’est un parcours artistique dans l’Italie de la statuaire, de la musique et des fresques sacrées, non sans un petit détour par Cinecitta, c’est un regard sur le métier de sculpteur auquel « pour donner vie, il a fallu trois ans de lutte armée, un simple burin et un morceau de marbre ». Le Mimo mauvais garçon n’est pas sans rappeler le Caravage. Au passage, on s’invite à lire ou relire La Solitude Caravage de Yannick Haenel et La Nature Exposée de Erri De Luca.