Agenda

Le 21 juin, on plongera dans Les Contes et Nouvelles de Guy de Maupassant. Cette dernière séance, traditionnellement participative, suppose que chacun aura choisi un conte et repéré un passage à lire à haute voix.

L’ensemble de l’œuvre de Maupassant est disponible en ligne, accompagné de diverses ressources : http://maupassant.free.fr/index.html

 

Les Soldats de Salamine

Quelques éléments de présentation de Javier Cercas, écrivain et journaliste, nous permettent d’apprécier ce qu’en dit Patrick Boucheron « Cercas écrit des romans historiens ». Comme pour se confronter au passé franquiste de sa famille, Cercas situe une partie de son œuvre romanesque dans le contexte de la Guerre Civile Espagnole. Il y mêle réalité et fiction, maniant avec subtilité art du détail et souci de la documentation, sans jamais esquiver les questions de l’engagement, de l’héroïsme, comme celle de la barbarie d’une guerre fratricide.

Les Soldats de Salamine, publié en 2001, traduit dans diverses langues, raconte l’histoire d’un journaliste qui peine à écrire un « récit tramé sur la réalité », celle d’un épisode oublié : le 30 janvier 1939, le poète « Rafael Sanchez Mazas, théoricien de La Phalange, futur ministre de Franco », fugitif dans la région de Banyoles, en Catalogne, échappe à son exécution. Le soldat républicain qui lui fait face, « resté à le regarder quelques secondes sans le quitter des yeux », ne tire pas. Quoique probablement ainsi vécue, cette scène semble aussi énigmatique que le titre du roman pour qui méconnait la bataille de Salamine, défaite navale subie par les Perses, cinq siècles avant J.C.

Ce n’est que lorsqu’il a terminé d’écrire son livre que l’écrivain-enquêteur, le double romanesque de l’auteur Javier Cercas, parvient à formuler son « intention. Celle-ci consistait en l’écriture d’une sorte de biographie de Sanchez Mazas, centrée sur son exécution manquée /…/ qui proposerait aussi une interprétation du personnage et de la nature /…/ des motifs qui induisirent une poignée d’hommes cultivés et raffinés à entrainer leur pays dans une furieuse orgie de sang ».

Le narrateur Javier Cercas part de faits réels, de traces historiques ou de témoignages de vétérans, pour s’approcher au plus près de ce qui est inatteignable : non seulement savoir si Miralles qu’il a retrouvé après une enquête improbable est bien ce soldat (ce héros ?), mais encore pourquoi il a refusé de tuer. Les trois parties de ce roman, parfois labyrinthique, reviennent en écho sur le moment de l’exécution, distillant les subtils indices dont dispose l’écrivain-enquêteur pour retrouver le milicien qui a épargné son frère-ennemi.

Si Javier Cercas manie l’humour, brosse de beaux portraits, sait nous émouvoir avec un Miralles octogénaire capable de fumer en cachette dans sa résidence senior, il excelle surtout à jouer sur la frontière ténue qui sépare la réalité de la fiction, notamment en donnant vie à des protagonistes de l’époque. Il pose ainsi les questions qui le taraudent. Comment rendre compte de faits réels en s’appuyant sur la diversité des archives, des récits et autres éléments de mémorisation ? Quels motifs ont pu pousser un « écrivain catholique, fidèle de la culture romaine et des valeurs de la civilisation occidentale à devenir fasciste »? Comment un soldat ordinaire peut-il être embarqué non seulement dans son propre pays mais aussi se voir combattre dans des contrées lointaines ? Qu’est-ce qu’un héros ? Que reste-t-il des actes courageux du « peloton de soldats ordinaires qui sauve tant de vies, /…/ qui sauve la civilisation /…/ personne ne se souvient d’eux » ? Tant qu’on parle d’eux, ils existent ; c’est la seule façon de dépasser la mort. Cercas embrouille volontiers son lecteur. En laissant subsister le doute, Miralles refuse d’être celui qui pourrait donner une fin à la reconstruction de cet événement. Le roman, la fiction montre des blancs, des pans de l’histoire oubliés comme sont oubliés les morts de l’Histoire.

L’essentiel, dixit Roberto Bolaño, l’écrivain chilien, à son ami Javier : « Tous les bons récits sont des récits réels, du moins pour celui qui les lit, c’est la seule chose qui compte ».

Pour aller plus loin :

La version BD des Soldats de Salamine, José Pablo Garcia (Actes Sud BD, 2020).

D’autres titres de Cercas, notamment Le Monarque des Ombres et Les Lois de la Frontière.

Des ouvrages qui éclairent la question de la guerre civile espagnole : J.P. Luis, La Guerre d’Espagne (Les Archives de l’Histoire, édit Milan) ; Adrien Bosc, Colonne (Stock, 2022), le « journal » de la philosophe Simone Weil qui rejoint les brigades internationales en 1936 ; Almudena Grandes, Le Cœur Glacé (J.C. Lattes, 2008).

Des livres dont on a parlé lors de séances antérieures : Lydie Salvayre, Pas Pleurer ; E. Hemingway, Pour qui sonne le Glas ; L. Padura, L’Homme qui aimait les chiens.

On a lu, on lira

Encore un peu de littérature russe avec Ludmilla Oulitskaïa, Le Corps de l’âme, (Gallimard, 2022), un recueil de nouvelles ; et Iouri Bouïda, Le Train Zéro (Gallimard, 1998), un récit dense et tragique.

De récentes parutions (Gallimard) : L.F. Celine, Guerre ; Annie Ernaux, Le Jeune Homme ; O. Pamuk, Les Nuits de la Peste.

Le Puy du Faux, enquête sur un parc qui déforme l’histoire, de Besson, Ducret, Lancereau, Larrère (Les Arènes, 2022)

Et encore : Abel Quentin, Le Voyant d’Étampes (édit de l’Observatoire, 2021) ; Françoise Verdier, La Passagère du Silence (Poche, 2005) et des ouvrages déjà cités lors de précédentes séances.

Café littéraire du 17 mai 2022 : Javier Cercas, Les Soldats de Salamine