Agenda
Le 31 octobre à 18 h, nous accueillerons Marina Salles, auteure d’essais sur l’œuvre de J.M.G. Le Clézio, à propos de son dernier livre : Avers. Des nouvelles des indésirables. (Gallimard, 2023). Exceptionnellement, cette rencontre se tiendra à la salle Saint-André, au-dessus de l’Office du tourisme de Dolus d’Oléron.
Le 20 octobre, rencontres en médiathèques avec l’auteur algérien Akli Tadjer, dans le cadre du Festival Visions d’Afrique.
Nos lectures de l’été
- Où il est question d’arts, de peintres, des sens : Le Bleu de Delft de Simone van der Vlugt (2018, 10/18) ; La Jeune Fille à la Perle et autres romans de Tracy Chevalier (Folio) ; Cueilleur d’essences – aux sources des parfums du monde de Dominique Roques (2022, Poche).
- Où il est question de la place des femmes et des hommes dans les sociétés : Les Hommes Protégés de Robert Merle (1989, Folio) ; Françoise Héritier, le goût des autres de Laure Adler (2022, Albin Michel) ; Que sur toi se lamente le tigre d’Emilienne Malfatto (2021, Elyzad).
- Où il est question d’ailleurs : Entre ciel et terre de Jón Kalman Stefánsson (2011, Folio) ; Siberia. En canoë du lac Baïkal à l´océan Arctique de Philippe Sauve (2021, Pocket) ; Là où chantent les écrevisses de Delia Owens (2018, Poche).
- Où on s’invite à la Rentrée Littéraire de l’automne 2023 : Jean Baptiste Andrea, Veiller sur elle ; Laurent Binet, Perspective(s) ; Sorj Chalandon, L’Enragé ; Laure Murat, Proust, roman familial ; Neige Sinno, Triste Tigre… tous en lice pour les prix ! Nous en parlerons plus avant lors de la séance 3.
Ouvrir la 13ème saison avec Franz Kafka
Kafka ne veut pas mourir (Gallimard, 2023) de Laurent Seksik nous permet de découvrir un Kafka tout autre que celui de nos lectures scolaires. En effet La Métamorphose, Le Procès, La Colonie pénitentiaire, Un artiste de la Faim et autres écrits ont d’abord été reçus comme des interrogations sur l’absurdité de l’existence ; en témoigne l’article d’A. Camus « L’espoir et l’absurde dans l’œuvre de Franz Kafka » (1943). Laurent Seksik, médecin et auteur de plusieurs biographies (consacrées à Zweig, Gary, Einstein), avait dédié sa thèse de médecine à Franz Kafka. Avec cette exofiction, il nous invite à connaître l’homme Kafka autant qu’à le lire sous un jour neuf.
La première partie porte sur la fin de vie de Kafka. A peine âgé de 41 ans, atteint de tuberculose, il meurt en 1924 dans un sanatorium près de Vienne, entouré et soutenu par sa compagne Dora, sa sœur cadette Ottla et son jeune ami Robert, médecin qui consacrera toute sa vie à lutter contre cette maladie.
La deuxième partie traverse la vie de ces trois protagonistes de 1933 à 1972, trace leurs parcours bouleversés par le génocide : Dora Diamant, juive polonaise, actrice, exilée à Tel Aviv puis à Londres, morte à 54 ans, Ottla Kafka, déportée, gazée en 1943 avec des enfants polonais, Robert Klopstock, contraint à l’exil, qui poursuivra brillamment sa carrière de chirurgien aux USA. Après la mort de Kafka, le destin de ses proches est lié au sort tragique des Juifs d’Europe, dans ce qui était l’empire Autriche-Hongrie, « la Bohême » : persécutions, interdictions d’exercer ou de publier, dénonciations, stratégies de survie, entraide… Dans ce contexte antisémite, Seksik donne vie aux écrivains et intellectuels que côtoie Kafka ; on trouve notamment Max Brod, Stephan Zweig, Thomas Mann, Walter Benjamin, Albert Einstein. Ils vont contribuer à protéger et faire publier ses écrits (carnets, correspondances, romans inachevés, nouvelles) bien que Kafka ait exprimé à son ami Max Brod le souhait que ses manuscrits soient détruits.
La phrase que Kafka, à l’agonie, aurait dite « Robert, tuez-moi sinon vous êtes un assassin » (p. 85) et que Seksik dit « authentique » et « kafkaïenne » nous interroge longuement, tant elle semble faire écho à nos préoccupations d’aujourd’hui.
La Lettre au père c’est «la pile de feuilles manuscrites, plusieurs dizaines de pages» (Seksik p. 97), que Franz Kafka a écrite à son père sans jamais réussir à la lui donner à lire. « Toute mon œuvre écrite pourrait s’intituler « tentative d’échapper au père » aimait à dire Franz » (Seksik p. 103).
Malgré (ou en raison de) sa complexité, cet écrit nous donne à voir un Kafka à la fois fragile et rebelle, comme écrasé par la tyrannie de son père. « Ces pages condensaient trente ans de vie commune, tiraient les leçons d’un interminable conflit » (Seksik p. 107). Il y est question de son enfance, de son éducation, de ses fiançailles interrompues, de la pratique religieuse, à l’aune du comportement dominateur et injuste du père ; il y est question de ses activités d’écrivain inconsidérées par le père ; il y est question de la souffrance qu’engendrent ses relations avec le père. S’agit-il d’une plainte, d’un appel au secours, d’une tentative de conciliation, d’un procès qu’il ferait à son père ? Nos lectures de ce long réquisitoire sont diverses tant le caractère introspectif du propos laisse place à l’interprétation du lecteur. Si, dans cette société patriarcale, le fils ne peut que se soumettre, ou se résigner, ou, comme le Gregor de la Métamorphose, se réfugier dans sa carapace, il ne cessera ni de penser, ni d’écrire : Kafka ne veut pas mourir.