Agenda
Prochaine séance du Café Littéraire le mardi 17 décembre à 18 h à la médiathèque de Saint-Pierre pour évoquer la romancière Françoise Sagan ; nous lirons en particulier La Chamade (Pocket).
Et pour ceux qui s’intéressent à la littérature allemande contemporaine : lundi 25 novembre, conférence UTL La littérature allemande après la chute du mur de Berlin par Hélène Yèche. Mardi 26 novembre, lecture du roman de Regina Scheer Le Chant du Genévrier (18 h à la Médiathèque de Saint-Pierre). D’autres rencontres à suivre en décembre et janvier prochains…
La Rentrée Littéraire de l’automne 2024
Nos échanges à propos de romans français en lice pour les Prix Littéraires, ou d’ores et déjà lauréats, s’imposent de ne pas divulgâcher ; voilà donc quelques bribes pour une mise en appétit.
La Petite Bonne de Bérénice Pichat est loin de faire l’unanimité. Sa forme singulière séduit ou déroute. Quant à la rencontre improbable entre Monsieur Daniel, ancien pianiste, gueule cassée, tête penchée en avant dans son fauteuil d’infirme et La Petite Bonne ponctuelle, discrète, efficace, si elle donne à voir un espace d’humiliation et de servitude, elle s’inscrit en outre dans la question très actuelle de l’euthanasie.
Deux romans exigeants où se conjuguent fiction romanesque et Histoire contemporaine ; Goncourt pour Houris, Renaudot pour Jacaranda ; des lauriers ad hoc pour deux auteurs traitant des tragédies politiques récentes qui filigranent le présent de leur pays, à savoir l’Algérie de Kamel Daoud et le Rwanda de Gael Faye. Comment se reconstruire après tant de violences et de barbarie ? En Algérie, « en 2005, on organisa un grand vote pour dire qu’on pardonnait aux tueurs ; on fêta la Réconciliation Nationale. /…/ Ne plus laisser trainer aucune preuve, aucun chiffre, aucune possibilité de raconter l’histoire à nos descendants /…/ Il est interdit d’enseigner, d’évoquer, de dessiner, de filmer et de parler de la guerre des années 90 ; il n’y a ni livres, ni films, ni témoins pour 200 000 morts». Au Rwanda, « un pays de fantômes », pour tenter de comprendre a posteriori ce qui s’est passé, il faudrait que la parole se libère ; or, ceux qui ont vécu le génocide se murent dans le silence et la génération « d’après le génocide a les préoccupations d’une start-up nation ». Les jeunes protagonistes, Aube, la rescapée du massacre de Had Chekala, Milan et Stella, les Rwandais, sont les voix de ces deux romans courageux. Kamel Daoud et Gael Faye, chacun à leur manière, confirment que l’écriture romanesque est une voie pour questionner l’Histoire.
On souligne la complexité drôle, attachante et cultivée du roman de Grégoire Bouillier, Le Syndrome de l’Orangerie. Face aux Nymphéas, le regardeur éprouve un étrange malaise. Comme à son habitude, (nous avions chroniqué la passionnante enquête de son précédent roman, Le Cœur ne cède pas) Bouillier convoque archives, entretiens et visites in situ pour tenter de savoir ce qui se cache sous les centaines de nénuphars peints ou cultivés par Claude Monet. Une quête obsessionnelle face à une œuvre obsessionnelle. Bouillier interroge et s’interroge ; avec virtuosité il entraine son lecteur dans les tableaux et les jardins de Monet, dans la vie de Monet et de ses contemporains, et plus loin encore, dans les méandres de la création artistique.
Le Grand Prix du Roman de l’Académie Française et le Femina couronnent Le Rêve du Jaguar de b un auteur flamboyant que nous avions eu le plaisir d’écouter lors de Cita-Livres 2023. Le Rêve du Jaguar, c’est une saga familiale rocambolesque, dense et brillante, largement autobiographique. Miguel Bonnefoy, alias Cristobal, l’écrivain parisien, tisse l’histoire merveilleuse (dans tous les sens du terme) de ses ancêtres vénézuéliens et chiliens. Il suffit alors au lecteur de se laisser ravir, Bonnefoy conte et raconte : « Au troisième jour de sa vie, Antonio Borjas Romero fut abandonné sur les marches d’une église dans une rue qui porte aujourd’hui son nom. Personne ne peut dire précisément à quelle date il fut trouvé, on sait seulement que tous les matins, toujours au même endroit, une femme misérable avait l’habitude de s’asseoir là pour déposer une écuelle en calebasse et tendre une main fragile aux passants… ».
Cabane d’Abel Quentin, voilà encore un subtil mélange de fiction et d’Histoire. Quentin imagine un quatuor de chercheurs chargé, dès 1972, de « dire ce que pourrait être l’avenir du monde si la production industrielle poursuivait sa fulgurante ascension ». Le Rapport 21, résultat de ces travaux, se vend à des milliers d’exemplaires. Pourtant, il n’est pas suivi d’effet. Comme le vrai rapport Meadows dont s’est inspiré l’auteur, il a eu raison trop tôt. Cinquante ans plus tard, un journaliste enquête sur ce que sont devenus les quatre lanceurs d’alerte. Le couple d’universitaires américains s’est reconverti dans l’élevage de porcs bio, le Français, opportuniste, a fait carrière dans l’industrie pétrolière ; quant au brillant mathématicien norvégien, il a une fort mystérieuse trajectoire. Abel Quentin nous propose un scénario de traque plein d’humour, truffé de faits et de protagonistes existants ou ayant existé, et de vraies questions : pourquoi le rapport Meadows est-il tombé dans l’oubli ? Comment comprendre ce déni collectif ?
Au fil de ces présentations, on suggère d’autres titres : Au Bord du Désert d’Atacama de Laure des Accords (Le Nouvel Attila, 2023) ; Rousse ou Les beaux habitants de l’univers de Denis Infante (éditions Tristram, 2024).