Cette première séance de la saison 9 de notre café littéraire se réjouit de l’arrivée de nouveaux membres et de la fidélité des anciens ; bienvenue à tous et en route pour une année de lectures et de discussions partagées !

Voyage au Bout de la Nuit, L. F. Céline

Plus de la moitié des participants a lu ou relu les quelque 600 pages du Voyage ; d’aucuns avec le plaisir d’avaler une grande tranche de la vie insolite de Bardamu-Ferdinand, d’aucuns non sans buter sur le poids des évocations dont le propos est bien de nous embarquer au bout de la nuit, d’autres encore pour constater que décidément ce Céline est un tissu de contradictions, soucieux de peindre les opprimés et les misérables tout en les piquant de sa plume amère, cynique et volontiers nihiliste. Le Voyage au Bout de la Nuit s’est offert aussi dans une approche multiforme : celle de la version intégrale accompagnée des somptueux dessins de Jacques Tardi (Gallimard, 2006), celle de la lecture sonore de Denis Podalydes (16 CD, 16 heures de lecture à déguster), celle de la série d’émissions Louis Ferdinand Céline au bout de la nuit, opportunément diffusée cet été sur France Culture.

Notre propos n’est pas d’alimenter la polémique entre Louis Ferdinand Céline, l’écrivain inscrit comme un très grand de la prose française et les errements antisémites de l’homme Destouches. Henri Godard, biographe et éditeur de Céline pour La Pléiade écrit : « Céline n’est pas dans Destouches. Il est dans les quelque trois ou quatre mille pages de prose dont la plupart saisissent les amateurs de littérature par leur puissance, leur drôlerie, leur raffinement d’écriture ».

Si Gérard présente les éléments majeurs de la « vraie » vie de Louis Ferdinand Destouches, de sa naissance parisienne à son embrigadement dans un régiment de cuirassiers puis sa sévère blessure en 1914, de son engagement dans une plantation au Cameroun à son retour en France où il fait ses études de médecine puis est embauché comme hygiéniste à la Société des Nations, de ses voyages en Amérique à sa découverte des usines Ford, de ses errements politiques et autres exils volontaires en Allemagne, au Danemark à son amnistie, puis son quotidien de médecin au dispensaire de Clichy, sans oublier ses moult liaisons et mariages, c’est évidemment parce que les romans de l’écrivain Céline, et plus spécifiquement le Voyage, en sont un miroir.

Catherine propose un résumé des tribulations de Ferdinand Bardamu. Où qu’il aille, où qu’il soit, dans les tranchées de la Grande Guerre, dans un comptoir africain, dans un hôpital psychiatrique, sur la chaine de l’usine de Détroit, face à New York « la ville debout ; la ville absolument droite, raide à faire peur », dans les sinistres banlieues ou les cabarets louches, Bardamu ne constate et ne rapporte que misère matérielle, sociale, morale, et pourriture de l’existence. Pourtant il poursuit son voyage : «Il y a un moment où on est tout seul quand on est arrivé au bout de tout ce qui peut vous arriver. C’est le bout du monde. Le chagrin lui-même, le vôtre, ne vous répond plus rien et il faut revenir en arrière alors, parmi les hommes, n’importe lesquels».

On lit avec délectation de courts passages qui soulignent, si besoin était, la foisonnante richesse de cette écriture hors norme qui n’a pas pris une ride. Bardamu soldat qui dénonce l’« imbécillité infernale » de cette « immense, universelle moquerie » qu’est la guerre, Bardamu colon, Bardamu et son copain Alcide qui « met de côté son sale pognon » pour faire « élever sa nièce chez les Sœurs », Bardamu sur sa machine « à passer des boulons encore et encore » qui «n’existait plus que par une sorte d’hésitation entre l’hébétude et le délire», Bardamu poète à l’heure d’un crépuscule à Gennevilliers, Bardamu médecin impuissant devant la lente agonie du jeune Bébert, Bardamu qui avance inexorablement dans sa nuit, et qui se « demande comment le lendemain on trouvera assez de force pour continuer ce qu’on a fait la veille et déjà tellement trop longtemps, où on trouvera la force pour des démarches imbéciles. /…/ C’est l’âge aussi qui vient peut-être, le traitre, et nous menace du pire. On n’a plus beaucoup de musique en soi pour faire danser la vie ».

Fin de séance… on se promet de lire, relire, écouter, offrir et feuilleter encore le Voyage au Bout de la Nuit.

La parole aux libraires

Au cours de cet été 2019, la Librairie des Pertuis a proposé à ses lecteurs le prêt d’ouvrages de « la rentrée littéraire ». Voici le moment de constituer un jury pour le « Goncourt d’Oléron ». Les libraires présentent la procédure retenue, soit 4 romans à lire en 4 semaines et quelques débats en perspective. Nous verrons si le choix des 8 membres du Café Littéraire qui ont relevé ce défi se distingue ou non de celui des prestigieux critiques qui dineront chez Drouant.

Au passage, rappelons qu’en 1932, le Voyage au bout de la nuit a été évincé, au profit d’un certain Guy Mazeline pour son roman Les Loups. Céline, pourtant, se voyait déjà lauréat si on en juge par la lettre, un brin immodeste, qu’il joint au manuscrit expédié à Gallimard : « Tout cela est parfaitement amené. Je ne voudrais pour rien au monde que ce sujet me soye soufflé. C’est du pain pour un siècle entier de littérature. C’est le prix Goncourt 1932 dans un fauteuil pour l’Heureux éditeur qui saura retenir cette œuvre sans pareil, ce moment capital de la nature humaine… ». Hélas, le Voyage au Bout de la Nuit est jugé « trop voyou pour l’époque. Trop populaire. Trop mal poli » par les jurés prudemment conformistes.

A partager

A la suite du Festival Pose ta Prose à Dolus, un atelier d’écriture est proposé par « En avant-première ».

Plus d’informations et/ou inscription par mail enavantpremiere17@yahoo.fr ou tel 06 8419 96 91.

Prochaine séance

La séance du 22 octobre sera celle de la rentrée littéraire avec Le Cœur de l’Angleterre (Gallimard, 2019), un roman de Jonathan Coe.

Céline, Voyage au Bout de la Nuit – Café littéraire du 24 septembre